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Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
21 mai 2012

Quand on s'identifie...

Le professionnel de santé n'est pas qu'un corps pourvu de savoir, de savoir-faire et de savoir-être...c'est un être humain qui soigne un autre être humain.

La blouse ou la tunique-pyjama de bloc a ceci d'essentiel qu'elle coupe la vie civile de la vie en uniforme. Lorsque je prends ma blouse, plus rien n'existe que mes patients, mon service, mon hôpital...je m'y investis corps et âme. Le retour en vêtement civil à mon domicile ainsi que la longueur du trajet travail/domicile me permet de m'extraire de cette disposition et de reprendre une vie personnelle.

Pourtant, le mur peut parfois se fissurer. L'hôpital déborde sur la vie personnelle et la vie personnelle peut interférer sur l'activité professionnelle.

Quelques années auparavant, j'étais enceinte de mon gremlin. Primipare, j'avais un bébé, un alien idéalisé dans mon corps. Mon hôpital était classé maternité de niveau trois, c'est à dire qu'il y avait une réanimation médicale pour nourrissons, prématurés et grand prématurés. Mais je n'allais dans ce service qu'en remplacement ou lorsque j'étais de garde. Mes collègues appréhendaient déjà la réanimation adulte, alors la réanimation sur des crevettes de 500 grammes les paniquaient franchement. Pourtant, je m'y sentais à l'aise. L'infirmière était systématiquement présente pendant nos séances et se chargeait de l'aspiration en elle-même tandis que le kiné décobait, maintenait la sonde et recobait. De plus, sur des petits loulous instables, elles savaient et pouvaient nous guider par rapport aux réactions de l'enfant.

J'avais acquis suffisamment d'ancienneté et de confiance au sein de cette équipe que je pouvais faire la kiné respi seule, même sur les bébés intubés stables. Jusqu'au jour où...

Ce jour, c'était le jour de mes 6 mois de grossesse. J'avais en tête les images de l'échographie, je sentais ses mouvements et même son hoquet. Mon bébé prenait enfin corps dans mon corps.

Ce jour, un nouveau bébé nous était confié. Un prématuré de 26 semaines. L'infirmière me retrace les différents éléments du dossier, je jette un coup d'oeil aux radios du jour et précédentes. Vient le temps de l'examen clinique puis de la séance proprement dite. Je suis peu familiarisée avec le mode de calcul, entre les semaines d'aménorhées, les semaines de vie intra-utérines...je calcule préférentiellement par la date présumée d'accouchement.

Date présumée d'accouchement...Je demande la précision à l'infirmière...

Ce bébé...celui que j'ai sous mes doigts, à qui je fais une kinésithérapie respiratoire avec seulement deux doigts, cette crevette de 600 grammes...C'est la même date présumée d'accouchement que celui que je porte en moi. J'ai ressenti alors cette dichotomie: ce bébé pourrait être mon bébé, sauf que l'un est dehors et l'autre est dedans. Un vertige m'a pris, accentué par la chaleur du service et l'irradiation de la couveuse.

 

26semainesc

 

J'avais devant moi une représentation de cet enfant que je portais, et j'adressais une prière silencieuse à une entité inconnue afin que mon enfant ne naisse pas trop tôt.

Lorsque j'ai regagné le service de rééducation, j'ai prévenu mes collègues. Je voulais bien continuer de remplacer en réanimation adulte, mais je ne pouvais plus le faire en réa-néonat. Ils ont eu du mal à le comprendre...même celles qui étaient déjà mères. Il aura fallu que je pleure et que je demande à mon cadre de m'appuyer.

Le problème du sachant et impuissant, je me suis laissé déborder en identifiant mon enfant à venir avec cet enfant sous mes mains...

Putain d'hormones!

 

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Commentaires
Y
Ton histoire me fout des frissons. Ces services sont quand même très durs, certes la vie est là mais dans quelles conditions, et souvent elle s'arrête.Tu as tenu ce que tu pouvais et tu as bien fait de te préserver.
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