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Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
15 juin 2012

Un sous-marin à l'hôpital

Il y a ce que l'on apprend durant nos études et il y a ce que l'on apprend sur le terrain.

Je me souviendrai toujours de cette petite dame. Je dis petite car elle m'arrivait au niveau du menton, les os semblables à du sucre mouillé. Ses vertèbres s'étaient écrasées lentement mais sûrement. Hospitalisée pour gérer sa douleur et parer à son affaissement vertébral, elle était restée longtemps dans sa chambre, marchant en se cramponnant au lit, à l'adaptable, à la chaise...

Le médecin lui a prescrit au bout de 15 jours d'hospitalisation de la rééducation à la marche...Lorsque je lis ces mots sur une ordonnance, j'ai une bouffée de colère qui me vient spontanément. Trop souvent, on a de la marchothérapie à faire...On prend le patient sous un bras, le rollator et c'est parti mon kiki pour faire des aller-retour dans le couloir...et ça, ça me gonfle car on pourrait éviter de le faire par une meilleur prophylaxie, en incitant beaucoup plus fortement les patients à marcher.

Petite anecdote au passage, lorsque le patient est fumeur, il a hâte de remarcher pour pouvoir aller s'en griller une dehors le plus rapidement possible...Comme quoi, le tabac tue mais peut aussi faire bouger les gens...

Revenons en à ma petite dame, toute mignonne et fragile. En fait, elle a peur. Elle s'est laissé enfermer dans sa chambre. Pendant 15 jours, son regard a buté contre les murs situés à 3 mètres devant elle. Elle est parfois sortie pour tel ou tel examen mais à chaque fois c'était sur une chaise roulante pilotée par un brancardier.

Une sensation de vertige et d'appréhension des grands espaces est décrite chez les sous-mariniers au retour de mission. Pendant 15 jours, ils ont même pour consigne de ne pas conduire pour se réhabituer à voir au loin, Car pendant leur mission qui dure plusieurs semaines voire même quelques mois, leur regard aura buté sur des murs à 3 mètres, le plafond y est très bas, chaque espace est rentabilisé au maximum.

Cette petite dame a la même sensation. Ce n'est pas la marche qu'il a fallu rééduquer mais la confiance en soi et la ré-habituation aux grands espaces. En quelques jours, elle s'est sentie ragaillardie. De patiente subissante compliante, elle est devenu patiente agissante. Elle reprenais le cours de sa vie, se ré-appropriait son corps et ses sensations. Un matin, je l'ai trouvé assise sur un banc prenant le soleil.

"-Bonjour madame.

-Bonjour Biche, vous avez vu, je suis sortie toute seule, je fais comme vous m'avez montré.

-Et comment vous sentez-vous?

-Bien..Ça fait du bien...J'ai envie de rentrer chez moi, c'est pour bientôt le docteur a dit.

-Bonne nouvelle alors! Je file, il faut que j'aille me changer.

-Dites Biche, vous venez cet après-midi me voir pour me faire marcher, parce que j'aime bien discuter avec les gens en fait. Je sais que vous avez beaucoup de patients mais vous pouvez remarcher avec moi encore une fois?"

Je n'ai pas pu lui dire non et nous avons fait cette dernière séance en évoquant ses souvenirs d'enfance.

 

Nautilus-Class Submarine Undersea - Prow Detail

 

Sous mariniers / Petite dame ostéoporotique...même combat.

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Commentaires
R
La marche avec un déambulateur est une étape intermédiaire entre la marche en se tenant aux barres parallèles et la marche avec cannes.
A
Superbe texte.. j'aime aussi votre analogie avec le sous marinier...elle est trés parlante
B
Des personnes âgées clouées au fauteuil alors qu'elles pouvaient ENCORE marcher, j'en ai connu plein. Souvent, une peur de la chute après une fracture du col du fémur. Alors le kiné venait, plus pour la confiance que pour la marche. Le tour du salon, puis le tour du jardin, puis le tour de l'église... et la confiance revient tout doucement :-)
L
Très intéressante analogie que je vais sûrement souvent réutiliser dans ma pratique. Encore une façon nouvelle et globale d'apprivoiser un patient. <br /> <br /> <br /> <br /> Je te rejoins sur la marchothérapie. Je n'ai rien contre en soi mais j'ai horreur de servir d'excuse à l'ensemble du service qui ne voudrait traiter que la jambe, l'escarre ou la pneumopathie, que ça arrange bien quand le patient reste sagement dans la chambre et que ça soule de mettre au fauteuil (qqn qui peut très bien s'y mettre tout seul) au risque de se péter le dos. <br /> <br /> <br /> <br /> Bel article, merci<br /> <br /> Leya.
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