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Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
29 septembre 2012

Chuuuut...

J' ai des amies depuis le collège...de ces amies que l'on peut ne pas voir pendant des semaines et de retrouver en ayant l'impression de ne s'être quitté qu'hier seulement...de ces amies qui peuvent appeler à trois heures du matin pour demander de l'aide et à qui l'on demande "Où est le corps?" .

 

Elle, ce n'est pas une amie mais la mère d'une amie. D'une ancienne amie qui suite à une rupture amoureuse a décidé de rester seule dans son coin. J'avais été blessée de cela, voire même un peu rancunière...et pourtant, je l'ai compris réellement, des années plus tard.

Cette mère d'amie, appelons-la madame D. Elle est jeune, plus jeune que ma propre mère et elle a un cancer. Un cancer du sein pas gentil. Il y a eu l'opération, le curage axillaire et la complication du lymphoedème. Il y avait aussi la fatigue: outre la bataille pour la vie, elle se battait aussi pour conserver une vie professionnelle en continuant son travail entre deux chimios. Madame D. ne se plaignait presque pas mais son bras...ce bras était son boulet, son rappel constant que la maladie était passée par là.

Je faisais la séance au domicile et lorsque je rentrais chez eux, je me revoyais adolescente, montant l'escalier, la chambre de mon amie tout en haut à droite, la cuisine toute petite avec ses portes saloon et la grande table de la salle à manger où nous faisions nos devoirs parfois.

J'étais là, non plus en tant qu'adolescente mais en tant que professionnelle de santé. Malgré ma jeunesse, la jeunesse de mon diplome, ils m'ont accordé une confiance qui m'a énormément touchée. J'étais dans leurs yeux une adulte, responsable et soignante. Nos séances n'étaient pas constituées que de techniques mais aussi de conversations, de débats. Je garde un souvenir impérissable de ces petits moments.

Je n'avais qu'une peur. Celle que mes autres amies l'apprennent. Non pas par moi, je suis extrêmement prudente quant au secret médical. Mais qu'en passant dans la rue, mes amis reconnaissent ma voiture garée devant le domicile de cette patiente ou que je sorte pile au moment où l'un d'eux passerait dans la rue. Je sais que la question aurait-été "Que fais-tu là? Pourquoi sors-tu de chez la famille  D?". Si c'était arrivé, je ne sais pas ce que j'aurai pu repondre. Mettre en avant le secret professionnel, c'était déjà avouer que quelqu'un avait besoin de mes compétences professionnelles, et je ne pouvais pas avancer que ce n'était qu'une visite de courtoisie, vu la façon de notre amitié avec S s'était achevée...heureusement, la situation ne s'est jamais présentée.

 

Ce n'est que quelques années plus tard qu'elles l'ont su. Par par moi, mais par Monsieur D et sa fille, mon ancienne amie, le jour où nous avons dit adieu à Mme D.

-"Pourquoi ne nous as-tu rien dit?"

-"Tu aurais pu nous en parler"

Et puis, elles ont compris... elles ont compris que mon silence ne m'appartenait pas, que quelque soient mes pensées et même mes états d'âme quand j'ai appris la rechute du cancer, ma bouche resterait close à jamais. Rien ne sortirait de moi. Et l'une d'elle en a même conclue

-"Tu as traversé cela toute seule, tu es seule dans ce cas et nous, on te reproche de ne rien dire. Au fond, on a tort de te faire ces reproches".

 

*************

 

C'est une jeune couple, la troisième est arrivée, petite malposition du pied...quelques séances plus tard, tout est rentré dans l'ordre. Je les voyais en dernier, ils habitaient à 3 minutes à pied de mon domicile... je vivais encore chez papa / maman, et nos deux familles se rencontraient régulièrement...4 ans plus tard, ma mère est venue pour me faire un reproche.

 

"Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu soignais A ?"

"Je ne vois pas de quoi tu parles."

"Bah écoute, j'ai croisé N. la maman de A. qui m'a dit que tu l'avais soigné"

"Je ne peux ni confirmer, ni infirmer ce que tu me dis"

"Tu pourrais me répondre au moins"

"Ma chère mère, te dire si j'ai soigné quelqu'un ou non constitue déjà une effraction du secret médical, je ne te parlerai pas de mes patients, même si tu les connais, même si c'est ta meilleure amie, même si c'est le pape alors ne me pose jamais ce type de question"

"Mais...je suis ta mère"

"Oui mais je suis kiné"

 

*************

Mon mari aussi était tenu par un secret professionnel en tant qu'avocat. L'avantage c'est que le boulot ne venait jamais polluer nos conversations.

-"Ta journée s'est bien passée?"

-"Secret professionnel. Et toi, ta journée?"

-"Secret professionnel"

 

*************

 

Secrets

 

Il est de ces secrets que j'emporterais avec moi dans la tombe, tout les secrets de mes patients.

En tant que kiné, nous ne prêtons pas le serment d'hippocrate...et pourtant, j'ai dans mon portefeuille, le texte exact.

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Commentaires
B
Parler à son mari d'une situation difficile en faisant en sorte que le patient n'est pas identifiable, c'est ce que je fais aussi. :)<br /> <br /> Et c'est juste humain. <br /> <br /> <br /> <br /> Les situations où on ne peut strictement rien dire sont exceptionnelles mais elles peuvent débouler un jour sans prévenir.<br /> <br /> <br /> <br /> PS: je suis en train de remonter dans vos archives de blog...je m'y retrouve un peu aussi...
A
Personnellement, c'est plus fort que moi,j'ai besoin de parler. Cela ne veut pas dire que j'en parle à la boulangère du coin. Cela s'arrête à mon mari en qui j'ai une confiance totale. Je ne dis jamais les noms. Mais si je ne parle pas, je crains que ces blessures et ses émotions ne se transforment en abcès. Il faut que ça sorte, d'une manière ou d'une autre, en discutant, en allant me défouler dehors... C'est aussi pour ça que j'ai décidé de créer mon blog, pour échanger, discuter, partager et me libérer d'une certaine façon.
B
Remarque pertinente Anerick...parfois la journée est dure, parfois il y a des choses dont j'aimerais parler mais que je dois taire dès que je sais qu'en parler pourrait compromettre le secret professionnel. Aucun des membres de mon entourage quotidien n'est du milieu médical ou paramédical. Alors je peux parler de mes émotions, de ce que je ressens mais si parler de mon ressenti permet une seconde d'identifier un patient, je préfère me taire par précaution. Alors oui c'est lourd mais c'est ce qui fait de moi un pas trop mauvais soignant. Mais si j'ai envie de pleurer, je pleure en disant que je rencontre une situation difficile comme tout le monde.<br /> <br /> <br /> <br /> Avec mon conjoint, nous nous comprenons car tout deux soumis à un secret professionnel. il y a quelques années, une amie m'a téléphoné et, au détour de la conversation, elle m'a appris qu'elle avait engagé mon mari comme avocat pour l'assister au tribunal dans un conflit avec son employeur. Ils avaient eu l'audience 3 jours avant. Et je n'en avait rien su et c'est parfaitement normal.<br /> <br /> <br /> <br /> Est-ce que je suis incorruptible? Peut-être...en tout cas, on ne m'achète pas. Les questions de certains membres de mon entourage sur la santé de untel ou unetelle me font toujours adopter le masque professionnel et je suis même très irritée et en colère que l'on ose me poser la question alors que ces personnes savent pertinemment que je suis professionnelle de santé. Ça a été une bataille d'imposer mon point de vue à certains et que la gamine, à qui ils avaient torché les fesses, s'était transformé kinésithérapeute, que mon devoir envers mes patients passait avant leur curiosité.<br /> <br /> <br /> <br /> Votre commentaire me touche ainsi que celui de Leya, on pourrait croire que je suis sans défauts, sans états d’âme...et pourtant, c'est juste la vie et l'expérience qui m'ont permis de prendre conscience de mes engagements et de mes convictions.
A
Vous êtes incorruptible malgré les pressions de l'entourage, malgré la difficulté de la prise en charge. Vous ne parlez jamais de vos cas, jamais de vos journées. Cela n'est pas lourd parfois, de garder toutes ses émotions au fond de soi ?
L
Joli post qui met en avant l'immensité de mes lacunes en ce domaine. Tu as une droiture d'esprit qui me fascine. Je vais essayer d'en prendre de la graine. Je n'ai pas été formée/sensibilisée au secret médical et je le regrette. Mais grâce à toi, encore une fois, je vais pouvoir évoluer.
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