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Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
11 novembre 2012

Ether, Anesthésie et Steack

On sait toujours ce que l'on perd jamais ce que l'on a.

 

J'ai onze ans. Le mois de juillet ressemble au mois d'aout par ses menaces d'orage. Le temps est lourd, les insectes volent bas. Je repense à toutes les prédictions des anciens. Mon père, ma mère et ma grand-mère connaissent cette région comme leur poche, ils y sont nés, ils y ont grandi...Leur connaissance du climat de ce petit pays de Retz passe par la couleur des nuages au couchant, le carnet des marées, le fait d'être d'un coté ou l'autre de l'eau...le vent tourne au Nord et le ronflement du dragon se fait entendre. Dragon le jour, Bateau Paquebot illuminé la nuit, de l'autre coté de l'eau se profile la silhouette de la raffinerie.

 

C'est un petit village de 2 000 habitants, tout le monde se connaît, se salue sur le minuscule marché devant l'hôpital, car à l'époque il y avait un hôpital avec bloc opératoire et tout! Les immeubles sont toujours là mais ce n'est plus vraiment un hôpital, juste une structure baptisée Service de Long Séjour...pudeur et hypocrisie pour désigner un établissement où les personnes âgées et malades attendent la délivrance dans le silence.

Mais dans ce village, je suis la parisienne, l'étrangère, je ne vis pas ici toute l'année, juste le temps des vacances scolaires, quand bien même toute mon ascendance est née dans un périmètre de 10 kilomètres, même en remontant jusqu'aux années 1500...J'ai une amie, je ne me souviens plus vraiment comment nous nous sommes rencontrées mais le courant est passé entre nous. J'ai peu d'ami(e)s, je suis trop bizarre, trop dans ma carapace et les gens s'y arrêtent mais passent souvent leur chemin.

 

Cette année, il y a de l'animation. Un centre équestre a ouvert ses portes. Avec Mag, nous y allons tout les jours, caresser les naseaux des chevaux et leur parler. Nous admirons les cavaliers, fiers sur leur destrier, franchir les obstacles avec grâce et élégance. Je veux tenter, je veux sentir, je veux monter. J'ai l'autorisation et l'argent pour faire une initiation.

La journée est déjà bien entamée quand je monte pour la première sur un...poney. Je me souviens du nom du cheval, tellement bien qu'il m'a souvent servi de mot de passe. Ce nom je n'allais pas l'oublier de si tôt. Le temps est à l'orage, les bêtes le sentent, elles sont fébriles. Je monte à cru. La sensation est grisante, je sens les muscles et la puissance des muscles à travers mon jean. L'animateur est un beau gosse et quand on a 11 ans, on est émue d'un rien. Mon assiette est mauvaise, il m'enlève les rênes pour travailler cet aspect, il contrôlera à la longe, cette grande courroie de cuir lui permettra de diriger à distance...l'animal renâcle, il agite fréquemment la tête...l'assiette n'est pas mauvaise quand soudain, l'animal bondit et percute avec son poitrail la porte de la carrière...une fois...deux fois...je crie et me cramponne à ce que je peux, à sa crinière...il agite à nouveau sa tête, je perd ma prise mais la reprend plus bas...l'animateur tente de se reprocher et de contrôler quand le troisième coup de poitrail produit un craquement: le bois de la porte est en train de céder...quatrième coup..la porte cède en un second craquement, plus sinistre que le précédent. La voie est libre, l'animal s'engouffre dans la brèche, sa puissance met à terre l'animateur qui lâche la longe...plus rien ne peux l'arreter, il s'emballe, s'échappe. Je me cramponne comme je peux, je sers les jambes, je tente de récupérer les rênes tombés en avant de sa tête. Ma main est proche, si proche...saisir les rênes et le stopper...mon bassin glisse, je tombe...comme au cinéma, un ralenti, je vois les cailloux se rapprocher, bien net au centre, en flou dynamique sur les cotés...j'entends l'animateur crier, les autres spectateurs, dont mon amie, rigolent, leurs éclats de rire me parviennent nettement...et le choc, brutal, la douleur me transperce le bras...je reste à terre...les rires cessent progressivement quand ils se rendent compte que je ne me relève pas. Je perds le sens du temps, de la réalité, tout ne m'apparait plus que par flash backs.

Je me vois devant chez ma grand mère à l'arrière d'une voiture en pleurs, ma mère penchée vers moi. Je revois le visage de l'interne devant moi, je me tiens le bras et refuse que quiconque me touche. Je me vois le lendemain avec cette écharpe en jersey bizarre...je n'ai pas le droit de l'enlever, de bouger le bras...pas facile de se laver et la sueur n'arrange rien....je sens l'aigre, le vinaigre sous le bras et je n'ai pas le droit de prendre une douche, juste me laver au gant devant l'évier...une semaine, il faut réopérer...plus sanglant, mais même écharpe qui pue au bout d'un jour. S'habiller en conséquence est un calvaire. Ma mère m'a acheté un gilet rouge à gros boutons pour que je sois autonome....je n'ai jamais racheté de gilet rouge...

Ma mère est là, tout les jours à l'hôpital. Pour patienter, elle s'est acheté un canevas. J'ai envie d'en faire, pour patienter et puis j'ai toujours aimé faire de mes mains...INTERDIT! Pas le droit, repos!....Et tout ce que je voulais faire, c'était tout ce que je ne pouvais pas faire...

L'immobilisation prend fin 1 mois et demi après, mon frère se marie. Je suis une grande adolescente très gauche dans une robe de petit fille...et tout ce qui m'importe c'est qu'on ne voit pas ma cicatrice. Cette grosse cicatrice rouge, tuméfiée, moche...une horrible balafre. La douleur est là aussi, je tente toujours de soulager mon bras en coinçant mon pouce dans le passant de ceinture...sauf que là il n'y a pas de passant...L'élastique de la manche bouffante passe en plein sur ma blessure, ça fait mal.

Et la rééducation, je n'avais qu'à traverser le palier, j'y allais en chaussons chez Patricia...et j'ai morflé...p*tain de cheval...120 séances de rééducation...et j'ai pu à nouveau me servir à peu près de mon bras...j'allais enfin pourvoir oublier cette histoire...

Oui mais non, ma croissance n'est pas terminée, il faut enlever ces broches...je ne veux pas y retourner. Mes parents m'autorisent à aller chez ma meilleure amie Chris, je dois y passer la nuit et ensuite me faire opérer...sauf que non, l'hôpital a appelé, ils m'attendent depuis une heure pour mon entrée. Mes parents viennent me chercher en catastrophe. Je ne suis pas prête du tout, je pleure et m'enferme dans la salle de bain avec mon amie. Elle tente de me rassurer, mes parents sont impuissants mais sont limite à vouloir défoncer la porte pour me prendre. Je me résigne à y aller grace à mon amie.

L'odeur d'éther m'assaille dès le hall de la clinique. J'ai peur...je passe la nuit en pensant à comment m'enfuir mais ma chambre est à coté du bureau des infirmières, et elles ne dorment jamais!

Je me revois en salle d'opération, une personne aligne consciencieusement sur des tables recouvertes d'un drap vert tout un tas d'outils sortis de grandes caisses métalliques...je regarde chaque ustensile: il y en a trop, ils vont quand même pas se servir de tout ça pour moi??? Je veux fuir mais je suis bloquée sur la table, crucifiée même avec les bras à 90° sanglés sur des attelles...je pleure en silence, je suis terrorisée. L'anesthésiste arrive. Je reprends confiance en me disant que je vais dormir et que je ne verrais plus l'horreur, que je vais tout oublier...Il me sourit à travers son masque.

"Je vais vous demander de compter jusqu'à 3..."

Je commence le décompte quand une combustion me prend dans le bras, je sens ma gorge se serrer à m'en faire mal, je suis en train d'étouffer, je me sens mourir de douleur.

 

 

douleur

 

 

 

Je me réveille emberlificotée dans les tuyaux, j'ai fait trois tours autour des redons et des perfusions. Je ne peux pas bouger, encore moins atteindre la sonnette. Je crie au secours, je ne reconnais rien...

"Ah ben on peut dire que tu n'es pas de tout repos. Déjà que tout à l'heure tu as cassé le nez de l'infirmière."

Oui, pendant le transfert brancard/lit, j'étais "réveillée" et je me débattais. J'ai donné des coups de pieds à tout le monde et un nez s'est trouvé sur la trajectoire....je ne me souviens de rien, juste de mon endormissement. J'apprends que mon anesthésie a été "difficile", j'ai arraché la sangle et la perf pendant l'induction avant de tomber inconsciente...Mon bras me fait mal, j'ai l'impression de revivre le même scénario et je pleure parce que je m'imagine devoir tout reprendre de zéro...kiné, encore kiné...je prends les antalgiques avant les séances...et je recommence de nouveau à me servir un peu de mon bras. Je quitte vite la clinique, fuyant la puanteur aseptisée...un ami s'est fait opérer dans cette clinique 5 ans après. J'ai renoncé à aller le voir sur le seuil, l'odeur me replongeant dans cet horreur d'enfant. Je fuis les hôpitaux, jamais je n'y travaillerai, jamais je n'y mettrai un pied!

Mon bras gauche....mon bras gauche est vraiment gauche, je n'ai plus aucune précision, aucune stabilité en position haute...quelques années plus tard, je vois le film "L'arme fatale"... Le personnage de Mel Gibson et moi avons beaucoup en commun....Je fais faire un contrôle de cette épaule: pas de chambre de décollement mais une usure du bourrelet glénoïdien, une instabilité et un gros trouble de la proprioception. Ma carrière de trapéziste ou de gymnaste est définitivement compromise. Encore des choses qui me sont désormais impossibles à vie.

Et cette balafre, encore plus hideuse qu'avant, boursouflée, adhérente avec des chéloïdes. Je ne m'achète plus que des T-shirts trop grands juste pour que la manche cache cette chose...dès que quelqu'un l'aperçoit, il s'en éloigne dans un mouvement de dégoût, le visage étant le parfait reflet du corps...ils n'osent même pas la toucher de peur que ce soit contagieux. Je suis une adolescente avec un corps qui change mais là c'est surtout du dégoût...et puis ne pas sentir une petite partie. Un tiers de la cicatrice et une zone de 3 centimètres carrés sont presque insensibles. Je dis presque parce que cette zone ne peut sentir qu'une chose: la douleur...et encore. Un jour, quelqu'un a fait l'essai de me brûler avec un bout de cigarette à mon insu...c'est l'odeur de cochon grillé qui m'a alerté, la douleur est venue quelques fractions de seconde plus tard...les enfants / ados sont très cruels .

Je pourrais me faire réopérer, l'assurance le prévoyait à partir de mes 18 ans, une fois ma croissance terminée, me faire enlever cette cicatrice mais je m'y suis habituée, et puis ce pourrait être encore pire: augmenter la zone d'insensibilité, perdre de l'amplitude sur le coude...alors cette cicatrice est moche mais je vais la garder, elle fait partie de moi. Je viens de jeter tout le dossier, directement dans le broyeur.

 

Une question doit vous titiller: est-ce que je suis remontée sur un cheval? La réponse est oui mais je n'y ai pris aucun plaisir, les sensations euphoriques ont disparues de ce monde.

 

- Biche, tu aimes le cheval?

-Oui...saignant.

-Mais Biche, tu fais quel métier?

-Je suis kiné.

-Mais Biche, tu travailles dans un hôpital et tu aimes cela?

-Oui

-Mais comment?

-Je ne sais pourquoi, mais en dépit de cet accident, je suis devenu professionnelle de santé travaillant dans un hôpital. L'odeur d'éther a disparu, cela peut être un début d'explications...

 

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Commentaires
B
J'ai la chance de n'être jamais tombée de cheval... mais j'avoue trembler toutes les semaines pour Amélie. Bon, il faut que j'oublie ce billet très vite maintenant!<br /> <br /> Et sinon, tu vas toujours dans le Pays de Retz? (c'est pas très très loin de chez moi, d'où ma question)
A
Normalement un précepte dit qu'il faut remonter en selle après une chute ! Mais... C'est vrai que l'on pourrait penser qu'après cette épreuve vous pourriez être complètement allergique au milieu de la santé, mais là vous êtes de l'autre côté, là est peut-être la nuance ? <br /> <br /> Cela me rappelle une chute mémorable en vtt il y a à peine un an, bilan un magnifique oeil au beurre noir et depuis ma moyenne dans les descentes à nettement chuté au grand désespoir de mon petit homme qui m'attend toujours en bas de la côte.
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