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Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
26 mai 2013

Ma rencontre avec Naïa et Bébédoux

C'est un joli petit bout, un petit garçon, je le rencontre à sa naissance. Il a une petite malposition du pied, rien de bien grave.

J'aime bien ces séances, elles se font au calme, dans la douceur. Mobilisation lente et strapping, j'aime faire les strappings, un vrai exercice manuel et intellectuel. J'aime car pour le réussir, je dois me baser sur mes connaissances anatomiques et palpatoires. C'est toujours avec un sourire en coin que je dis aux parents de mettre des préservatifs sur le bandage au moment du bain pour ne pas le mouiller et qu'il reste efficace pendant deux jours. La prochaine fois qu'il en mettra un, ce ne sera pas sur le pied.

Je revois la maman quelques semaines plus tard, pour sa rééducation périnéale et abdominale, rien de grave. BébéDoux est dans son cosy...enfin dès qu'il laisse maman un peu tranquille. La maman semble épuisée, elle a déjà 3 autres enfants et la situation administrative de son mari est compliquée. Elle, elle a de la chance, elle a des papiers, un travail et de beaux enfants. Seule la peur de ne pas voir rentrer son mari après le travail la taraude. Chaque sirène de police la fait sursauter et mettre en alerte, même si elle n'a rien à se reprocher.

Bébédoux revient me voir, c'est un beau bébé, des jambonneaux dignes de ce nom, un visage doux...mais BébéDoux pleure encore beaucoup. Et la maman est inquiète. BébéDoux ne tient pas sa tête. Je ne connais pas par coeur le développement psycho-moteur de l'enfant alors je consulte mes EMC. Effectivement, il y a un petit retard. Petit coup d'oeil au carnet de santé, BébéDoux doit avoir un vaccin. Je conseille donc à la maman d'en parler la semaine prochaine avec son médecin généraliste.

3 mois passent, quand Naïa revient avec une ordonnance d'un grand hôpital hyper pointu spécialisé. BébéDoux a un gros retard de développement à présent, il a 5 mois et ne tient toujours pas sa tête, à cela s'ajoute une hypotonie des muscles du tronc et une hypertonie des membres avec syncinésies. Le tableau n'est pas très réjouissant. Le diagnostic n'est pas encore établi, les médecins parlent de maladies génétiques, de problèmes à l'accouchement, de maladies orphelines...Naïa, la maman est un peu perdue et culpabilise beaucoup, à tort évidemment.

Alors je me plonge dans mes livres, je réapprends certaines choses, je me documente sur la rééducation que je peux apporter à cet enfant. Et nous commençons la rééducation...enfin, au départ, il s'agissait surtout de survivre.

BébéDoux n'est pas si doux, dès qu'il est hors des bras de sa mère, il hurle à s'en faire péter les cordes vocales, entraînant le raidissement de ses membres dans un enroulement caractéristique. Naïa ne sait plus si elle doit être là, attendre en salle d'attente, prendre son BébéDoux et s'enfuir pour pleurer seule dans son coin. Avant même de rééduquer, il va falloir que j'établisse le contact avec cet enfant.

Alors je donne le dernier rendez-vous de la soirée, celui de 20 heures, où je m'assure de ne pas être dérangée par l'interphone ou le téléphone que je débranche, où il n'y aura que moi, BébéDoux et Naïa sans mon collègue et ses patients. C'est une épreuve pour moi aussi, ses cris atteignent des seuils de décibels proches de celui de la douleur. Avant de commencer, je me prépare mentalement à cette séance éprouvante, je me fais un énième café dans le bureau et fume à la fenêtre, c'est le moment de calme avant la tempête. Je me dois d'être sereine, apaisée pour tenter de le transmettre à cet enfant et à sa mère.

J'installe des tapis par terre, je me met à l'aise et nous commençons ensemble. Bébédoux se raidit, s'égosille...je lui parle doucement, je lui explique ce que je fais, je le masse en lui nommant les parties de son corps. Ma voix est calme, peut être hypnotique...je sais que cela prendra du temps. Et il aura fallu 4 semaines pour qu'un jour, enfin, il cesse de pleurer 5 minutes avant la fin de la séance et que je capte son regard. Ces 5 minutes se sont transformées en 10 puis 20 minutes, le contact était pris, le travail pouvait vraiment commencer.

Et puis ce jour, ce jour où malgré ses syncinésies et sa spasticité, il a trouvé un geste: celui de lever son poing fermé vers mon visage et de tenter de m'attrapper les cheveux. C'était un vrai geste volontaire, une recherche de contact et d'interaction. Je me suis penchée sur cette menotte et y ai déposé un bisou. Et il a souri...un vrai sourire. Qu'il était loin le temps des larmes et des cris, Naïa regardait son fils tendrement à présent. Le diagnostic était posé, un syndrome bizarre type maladie génétique orpheline. Elle était rassurée aussi, ses autres enfants n'étaient pas porteurs du gêne déficients.

Et le travail a continué, parfois je ne voyais pas le temps passer et notre séance durait bien au delà de la demi heure.

Mais je savais que ce que je faisais avec cet enfant ne serait pas suffisant à long terme, la maman a contacté une association pour renforcer la prise en charge au niveau des autres rééducateurs (psychomotricien, ergologue, orthophoniste). Le jour où elle devait rencontrer ces personnes, je me suis déplacée avec elle, avec mon dossier. La responsable de l'association était surprise, jamais un kiné libéral ne s'était déplacé pour un petit patient. Moi oui, c'était mon patient et nous allions travailler ensemble pour cet enfant, je considérais comme normal de parler de la prise en charge que j'avais faite jusque là, et tant pis si cet après-midi là, je ne travaillerais pas et ne gagnerais pas de sous. Du moment que ce n'est pas tout les jours...faut bien manger hein.

Et la prise en charge a continué, il y eu de petits progrès encore et encore, il y eu des éclats de rire même, Bébédoux était un petit farceur en fait, j'adorais ce môme.

Et je suis partie, j'ai quitté le libéral,  Naïa m'en a voulu au départ, m'a culpabilisé à coups de "Que vais-je devenir sans vous?" et de "Je ne veux pas d'un autre kiné" mais elle m'a pardonnée. Naïa me donne régulièrement de ses nouvelles: son mari a eu ses papiers, la trouille au ventre a disparu, Bébédoux continue de faire quelques progrès même s'il ne marchera jamais. Un jour, sur le palier de mon domicile, j'ai trouvé un couscous fait maison et un petit mot.

Sur ce petit mot?

 

"Merci" et en guise de signature l'empreinte de main de Bébédoux.

 

empreinte pas sable

 

 

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Commentaires
P
La patience, j'en ai eu mais je ne sais pas comment. J'ai parfois désespéré de ne pas y arriver et j'étais à deux doigts de renoncer quand il y a eu ce petit miracle, un regard qui s'est posé et cet enfant qui a décidé de me faire confiance.
A
Magnifique ! L'empreinte de pas c'est fort comme message et belle preuve de patience dans ta prise en charge, hyper pro je dois dire !
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