Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
18 juin 2013

Et soudain...

Un évènement, 3 personnes, 3 points de vue, 3 fonctions sur un accident de la route, comme il peut en arriver parfois, souvent…trop souvent.


Trois plumes pour un évènement:


Biche,témoin de l'accident qui prévient les secours.


Heidi, infirmière au SMUR qui intervient pour secourir les victimes.


Petite Bulle, gendarme, qui épaule les secours et cherche à comprendre ce qu'il s'est passé.


3 personnes, 6 mains, 1 évènement, 3 histoires…
 

 

 


 

J'ai faim, j'en peux plus de ces cours, vivement les vacances. En fait j'ai surtout faim. Je ne vais pas manger à la cantine, il y a trop de monde. Je vais aller au petit café du coin, je serais au chaud, je mangerais vite et j'aurais du temps pour bosser mes cours. Cela fera ça de moins à faire ce soir et je pourrais profiter plus largement de ma soirée.

Il n'y a pas de contrôle pour les sorties à midi. L'organisation géographique du lycée est complètement nulle. On ne peut sortir que par une porte, longer la grille tout le long du parc à vélo / mobylette pour atteindre le portail et je devrais à nouveau longer la grille coté rue pour aller au café. Ce n'est pas comme si il n'y avait pas de portail juste en face de la sortie du bâtiment, ni comme si il n'y avait pas de sortie du bâtiment juste en face du portail principal, mais le petit portail est toujours fermé et la porte du bâtiment en face du grand portail est réservé aux professeurs et membres de l'administration. Encore une aberration que le concierge prend plaisir à faire respecter à la lettre.

L'air s'est un peu réchauffé ces derniers temps, la nature redéploie sa couverture verte. Il y a du monde à cette heure ci, la rue est prise d'assaut par les piétons, les vélos et les mobylettes. Les BTS ont même de superbes motos, des trials ou des routières. Je les envie, j'aimerais bien passer mon permis moto quand j'aurais l'âge. Encore un an à attendre avant de pouvoir le faire.

Je descend les deux petites marches dans ce brouhaha et les vapeurs d'essence et de pots d'échappement. J'entends au loin un moteur vrombir, encore un qui fais le fier pour qu'on le remarque et l'admire. Je fais un pas et entend un cri, un bruit de tôle froissée. Je ne pensais pas que le temps pouvait s'écouler aussi lentement comme au cinéma.

Je vois une jeune femme voler à l'horizontal à un mètre de hauteur, ses longs cheveux ondulant dans le déplacement. Une moto la suit, glissant sur le sol avec quelques étincelles, derrière un homme casqué glisse aussi, son sac sur le dos. Mon regard se redirige vers la jeune femme, elle amorce sa descente vers le trottoir qu'elle percute au niveau de la tempe. Le temps s'est figé, tout le monde est tétanisé par la scène...je brise le silence en criant

     -"NE LA BOUGEZ SURTOUT PAS!"

Je cours le long de la grille et m'engouffre dans la grande entrée réservée aux profs

     -"Qu'est-ce que vous faites? Cette entrée est interdite aux élèves!" dit le concierge, rouge de colère.

     -"Appelez le 15! Vélo contre moto, au moins un blessé potentiellement grave et un autre indéterminé"

Je ressors aussi sec, il saura donner l'adresse. Je sais que je devrais d'abord constater les blessures mais là il y a trop de choses à faire en même temps et je suis la seule à me bouger les fesses. Je franchis la grille, bouscule l’attroupement qui s'est formé. Tout le monde est là, les bras ballants à regarder le spectacle sans trop savoir quoi faire. Je jette mon sac dans les bras d'un copain et m'approche du blessé qui me semble le plus grave. La jeune femme est là, inconsciente, allongée sur le coté, ses cheveux en corolle autour de sa tête. Elle a heurté l’arête du trottoir avec sa tempe, une blessure laisse échapper du sang faisant déjà une grande mare rouge qui devient luisante et visqueuse. Je décide de ne pas la bouger d'un poil, elle est pratiquement en PLS, je vois sa carotide qui bat régulièrement, elle respire doucement mais elle respire. Je prends mon manteau pour la couvrir, elle est à l'ombre, le sol est froid et l'air pas si chaud que ça.

     -"Alban! Reste ici avec elle, tu ne la bouges pas! Tu la surveilles!"

Je vais voir le second blessé. Le jeune homme a enlevé son casque de lui même et s'est assis sur le trottoir à 3 mètres de là. Ses yeux sont rivés sur le corps de la jeune femme, hagards.

     -"Ça va?"

     -"Hein?"

     -"Ça va? Eh Oh, répond-moi, ça va?

     -"Oui, j'ai un peu mal..."

     -"Où as-tu mal?"

     -"Au sac"

Il m'a fallu quand même réfléchir pour comprendre que son sac lui faisait mal. J'ouvre son blouson (de moto en cuir, béni soit-il) et passe ma main sur ses clavicules. Bingo! Vu ce que je sens sous mes doigts, ça n'a pas l'air d'être normal. Ni une ni deux, je prends mon cutter dans ma poche et coupe les deux sangles du sac. Il est soulagé, le sac de cours ne lui pèse plus. Il se recule et s'adosse à un muret. Il a l'air choqué et ferme les yeux.

     -"Eh oh, tu restes avec moi, tu fermes pas les yeux!"

     -"Je l'ai pas vu venir" dit-il en rouvrant les yeux

[Intermède: oui, je portais une arme de 6ième catégorie à l'époque sur moi car j'avais déjà été agressée par un malade exhibitionniste en rentrant chez moi un après midi. Je ne le recommande absolument pas, il y a d'autres solutions qui elle sont légales, mais j'étais jeune et insouciante.]

Il revoit le film dans sa tête mais au moins il est conscient et orienté.

     -"Tu as tapé quelque chose?"

     -"Non, j'ai juste glissé sur la route"

Je le regarde de la tête aux pieds. Heureusement, il est bien équipé: casque intégral, bottes de moto, jeans, gants et pas un vêtement qui ne soit pas en matière naturelle. S'il avait porté du synthétique, avec le frottement sur le bitume, il aurait eu de désagréables surprises. Un de ses potes arrive.

     -"Tu restes avec lui, tu veilles à ce qu'il ne ferme pas les yeux"

    -"Je vais m'en occuper, va aider Christophe" me dit une voix derrière moi.

C'est Alban qui était avec l'autre blessée. Christophe est pompier volontaire depuis plus de 2 ans, il a plus l'habitude que moi des AVP (Accident Voie Publique). Je retourne vers la jeune femme. L'infirmière scolaire a été prévenue, elle maintient une compresse sur la blessure. La quantité de sang qui s'est étalé sur la chaussée est impressionnante, la flaque semble de plus en plus gélatineuse. Christophe est à coté, en train de contrôler les fonctions vitales. Pas besoin de rajouter des bras qui ne servent à rien, je les laisse tous les deux s'en occuper.

Un sac gît à terre, c'est le sien, à elle. Je fouille dedans histoire de trouver qui elle est. J'ai sa carte d'identité, le médecin du SAMU et la police vont en avoir besoin. Je regarde alors autour de moi, l'attroupement est là. Je sens monter une vague de colère. J'entends leurs remarques

     -"Elle est morte?"

     -"Pfff allez c'est bon, y'a pas mort d'homme"

     -"Oh mon Dieu, t'avais raison ça pisse le sang"

     -"beurk! C'est vraiment dégeu!"

     -"Ah non mais je l'ai vu, elle a tourné dans la rue et l'autre est arrivé à toutes blindes et l'a percuté sur le coté"

     -"BANDE DE CHAROGNARDS! CASSEZ-VOUS! C'EST PAS UN SPECTACLE! ET TOI QUI A TOUT VU TU RESTES ICI!

Ah oui, quand je gueule, je gueule et ça s'entend. Le club théâtre m'aura au moins permis d'acquérir les décibels nécessaires pour être entendu. Chacun regarde ses pompes, d'autres commencent déjà à filer. J'aperçois des potes de ma classe et je les met à contribution pour virer du monde et ménager un couloir d'accès pour les secours...2 minutes à peine et ils sont là. Je ne me souviens plus de l'enchainement, je répond aux questions du médecin...et soudain, la rue est pratiquement vide, un pompier essuie le plus gros du sang avec un sopalin mais il en reste coincé dans les interstices de petites pierres. Il n'y a plus personne. Quelqu'un me fait sursauter en me touchant l'épaule. C'est Alban.

     -"Viens, on va manger"

J'arrive au café groggy, tremblante, je n'ai plus de forces. Alban prend sur lui de commander les sandwichs, mon café habituel et une bière. Je lui pique sa bière, ça fait du bien.

 


 

Tous les prénoms cités ici sont fictifs même si l'histoire est vraie.

 


 

Épilogue

Cette histoire se termine très bien, Laura a repris connaissance dans la journée et nous avons pu aller la voir le soir même à l'hosto. Elle avait une énorme bosse violacée sur le front et a du passer un ou deux jours à l'hosto pour surveillance. Lui aura eux les deux clavicules fracturées. Plus de peur que de mal heureusement.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
Publicité
Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
Visiteurs
Depuis la création 148 844
Newsletter
Publicité