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Carnet spécial d'une kiné et d'une patiente
12 octobre 2014

Un café et l'addition

Je passe la majeure partie de ma journée dans un bureau, ce n'est pas tous les jours le même, je suis une SBF, une sans bureau fixe qui se pose sur le bureau de qui accepte. Comme quand j'exerçais la kiné, je trimballe mon matériel dans mes poches, une vraie caverne d' Ali Baba.

 

J'ai laissé tomber le pyjama, souvent pas à la bonne taille mais mon royaume pour du tissu que les jetables en intissé sans poches où avoir une température normale est mission impossible et où on sent le fennec au bout de 2 heures. J'ai une blouse, la classique, qui se pressionne devant avec même une poche revolver. Manches courtes évidemment, j'ai toujours le réflexe de soignants (pas de bijoux, pas de vernis, manches courtes).

 

Je ne vois pratiquement pas les patients. J'en ai parfois au téléphone parce que le standard ne sait pas où renvoyer. J'en vois parfois pour une prise de rendez-vous à une sortie mais globalement je ne les vois pas.

 

Et pourtant, je connais leur vie, leurs soucis de santé. Lors de mes études, nos professeurs disaient vouloir voir le patient dans le bilan et pas un bilan de pathologie. Ils avaient raison, Ô combien. Et maintenant, ça me bouffe encore plus parce qu'à part taper un compte-rendu, je me prend encore tout, l'empathie à distance ça marche. Je ressens aussi le malaise et l'impuissance du médecin devant certains cas. Je le vois ce patient qui s'enferme dans la cave à dénuder des fils de cuivre, ces enfants qui délaissent leurs parents, et d'autres qui se prennent des coups de la part de celle qui leur faisait des câlins autrefois. Et je ne peux rien faire...

 

Je porte cette blouse tous les jours parce que c'est la politique des hôpitaux qui veut ça parce que revêtir cette blouse me permet d'endosser ce rôle administratif dans un service de soins.

 

Et puis il ya eu ce petit moment. Lors d'une chasse au dahut dossier, je passe devant une chambre, il est 13 heures, l'IDE de l'hôpital de jour a servi du café avant d'aller prendre le sien vite fait en salle de pause. Et il y a cette dame, les mains déformées par l'arthrose qui tente de le boire et le renverse complètement. Et je suis redevenu la soignante. J'ai tout laissé pour aller la voir. Vérifier qu'elle ne s'était pas brûlée les cuisses mais seule la tablette et le sol avait pris heureusement. J'ai épongé le sol pour ne pas qu'elle glisse en se levant, essuyé ses embouts de canne également. Je suis allé chercher un autre café, le lui ai servi.

cafe

 

Un sourire, un merci et au revoir plus tard, petite friction hydro-alcoolique et je suis dans le couloir.

 

J'ai fait mes frictions comme dans le manuel. Et ma blouse est fermée, je ne sais pas comment ni quand j'ai pu le faire. Je suis toujours blouse ouverte parce que ce n'est pas pratique pour le frappe, je me sens engoncée mais là je suis blouse fermée et je me suis sentie de nouveau soignante. Je n'ai rien oublié, j'ai encore quelques réflexes mais je dois faire le deuil de ce monde. Mon nouveau projet professionnel est là, presque à portée de main. Je dois attendre encore et encore mais il se fera.

 

Mais au fond, il y a toujours la soignante qui sera là. Elle va disparaître petit à petit. Je la sens de plus en plus déconnectée du monde actuel, les pratiques évoluent et on ne peut pas interagir longtemps avec ses pairs avec seulement des souvenirs.

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Commentaires
A
En quelques jours, ai dévoré les articles passionnants de votre blog ! Bravo pour votre recul et votre humanité, et vos analyses... Bon courage pour la suite de votre parcours, en tout cas, vous donnez envie de devenir kiné (même si évidemment tout n'est pas rose...) ! Je suis aussi en reconversion professionnelle et actuellement en K2. Merci encore pour le partage de vos expériences
H
A travers tes mots, on sent la soignante que tu es. Pas que tu as été, que tu es.
F
En vrai, je crois que tu ne cesseras jamais d'être une soignante. <br /> <br /> Y'a des kinés / IDE / médecins qui ne sont pas soignants. Et y'a des secrétaires, des instits, des chercheurs, qui sont soignants. C'est pas une histoire de métier, c'est une histoire de posture. Et d'empathie.
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