J'adore les toubibs, mais je hais leur écriture. Cela tient du hiéroglyphe égyptien et du code maya, saupoudré de cunéiforme type A.

Pourtant, ils ont fait le lycée comme moi, ils se devaient d'être lisible pour le bac s'ils voulaient avoir les points. En P1, il fallait qu'ils puissent se relire pour réviser...et aux ECN, s'il les voulaient leurs points grâce à des mots-clés...Et ben non, ils ont presque toujours une écriture de chiottes et il faut passer dix minutes pour lire l'ordonnance.

J'adore les toubibs, mais il ne font jamais de courrier pour le kiné en libéral. Alors, les antécédents, les traitements médicaux...toutes ces informations-là, on va devoir les extirper du patient.

Il y a ceux qui connaissent tout par coeur (mais c'est une espèce rare et protégée), ceux qui connaissent par coeur la forme et la couleur de leurs comprimés (j'appelle le centre anti-poison ou pas?), ceux qui usent et abusent de la métaphore, ceux qui nous inventent ou modifie le nom de leurs pathologies (bah oui, je l'appelle la polymalfoutose). Et ce qui m'énerve c'est qu'en tant que kiné, "je ne suis pas habilitée à établir un diagnostic médical!".

Alors, comme je ne suis pas habilitée, je me tais, je dois deviner sans deviner.

Parce que, en kinésithérapie, il y a des indications et des contre-indications (relatives ou totales) à telle ou telle technique, à telle ou telle traitement.

Parce que celui qui prend de la morphine, je ne vais pas le coller en balnéothérapie individuelle (surtout s'il a un patch planqué sous le maillot de bain). Si la température est trop chaude, il va diffuser plus vite et me faire un beau myosis. Et ce, même si le toubib a prescrit la balnéothérapie. C'est comme si en étant IDE, je faisais 2mg de KCl en IVD* sans me poser de questions et sans refuser la prescription du médecin.

Parce que la kinésithérapie respiratoire c'est contre-indiqué en cas de coqueluche...entre autre.

Un jour, j'ai osé. J'ai demandé à un interne (plusieurs semestres au compteur) ce qu'on leur apprenait en médecine concernant la kinésithérapie.

-Bah, tu sais...

-Non. Je ne sais pas. Dis moi.

-Bah, par exemple, on a des arbres décisionnels toussa toussa. Par exemple, pour une pleurésie purulente, y'a scanner+antalgie+drainage (etc) et kiné+++

-Ok mais dans la kiné vous savez ce qu'il y a dedans?

-bah de la kiné respi.

Là, je garde mon calme mais l'affolement commence à poindre

-Alors en kiné respi c'est AFE**, percussions (là je fait de la provoc' patapé!), vibrations, expansion thoracique?

-Bah vous videz les bronches et vous faites en sorte que le patient ne s'encombre pas.

Bon alors remettons les pendules à l'heure. La kinésithérapie respiratoire n'est pas uniquement du désencombrement. Je ne suis pas un éboueur de bronches (enfin pas que). Et là, je suis affolée parce que certains médecins prescrivent de la kiné sans savoir ce que c'est alors qu'il ne leur viendrai jamais à l'esprit de prescrire un médicament inconnu sans regarder dans le Vidal...

Heureusement, un médecin, c'est très intelligent. Parce que, ce qu'il n'a pas eu en cours, il va aller le chercher sur le net (y'a plein de site technique de kinésithérapie), il téléphone à sa kiné préférée, il lui pose plein de questions et il se pose aussi plein de questions.

Alors maintenant que je suis en hospitalier, quand un externe, ou un interne, me demande s'il peut regarder comment je fais, non seulement je dis oui, mais je le fais participer. Je lui pose des questions, Je lui déroule tout mon arbre décisionnel à moi qui me dit de poser mes mains comme cela, de demander telle action au patient. Je lui fais part de mes sensations sous la main, ce que j'entends à l'oreille (bon quand le patient crie c'est qu'il a mal...non je déconne). J'intercale ses mains entre le patient et mes mains avec pour consigne "je fais et toi, tu fermes les yeux et tu "écoutes" ce que tu as sous les mains". C'est bizarrement formulé mais l'esprit est là.

Je lui explique qu'il faut définir les buts, les principes et les moyens de la séance/de la série de séances avec des objectifs à plus ou moins long terme. Bref, quand la séance est terminée, ils ont plus de questions que de réponses (c'est pas en 30 minutes que je vais résumer 3 ans d'apprentissage et 20 ans de pratique, ni même en un article) mais au moins, quand il prendront leur ordonnancier ou leur feuille de prescriptions (oui il y en a toujours beaucoup à l'hosto), ils vont se poser des questions et, au besoin, me poser des questions. Et puis, moi aussi, je leur pose plein de questions sur les pathologies que je connais pas (je dois même les saouler avec mes "pourquoi?").

Et en plus, j'en profite pour demander les antécédents et les traitements du patient, HDM*** comprise. CQFD****. Je n'ai plus à déchiffrer les pattes de mouches ou les circonvolutions encrières.

La boucle est bouclée. Mon BIP c'est le XX XX X, le DETC est cassé depuis 6 mois...

Hé les toubibs! Vous faites un drôle de métier mais je vous adore quand on travaille ensemble.

*A ne jamais jamais jamais faire, même sous couvert d'une prescription!!! Je ne détaillerais pas pour les néophytes, question de principe.

**Augmentation du Flux Expiratoire

*** Histoire De la Maladie

****Ce Qu'il Fallait Démontrer

Où est passée ma pierre de Rosette?

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