Je ne sais pas

Ca c'est une phrase que vous n'entendrez pratiquement jamais dans la bouche d'un médecin. Même envers ses futurs confrères ou consoeurs (oui je suis une P**** de féministe mais je me soigne).

Voici ce que pourrais-être le dialogue entre un externe et son interne, doublé par son senior.

Externe lisant un compte-rendu d'examen: Wouahhh, un épendymome aplasique du cône médullaire*!

Interne plongé dans un autre dossier: C'est un truc vachement rare.

Externe: Oui, mais c'est quoi exactement?

L'interne lève les yeux vers son chef en désespoir de cause.

Senior: C'est rarissime et puis c'est trop compliqué pour toi"

Pour un néophyte, cela a l'air très compliqué en effet puisque le grand Manitou Mandarin chef lui-même dit que c'est compliqué. Mais l'analyse d'un autre senior, complètement extérieur à l'histoire et à cet hôpital, est pertinente: "Peut-être même le senior n'en sait rien lui-même et par une pirouette s'excuse se dédouane."

Mais, aussi bien comme patiente que comme soignante, ce comportement me fait froid dans le dos. Parce qu'au vu de tous les connaissances actuelles de la médecine, il a fallu diviser les médecins en spécialités et qu'à présent, même les spécialistes se spécialisent dans leurs propres branches. Aucun être humain ne peut maîtriser complètement la connaissance de toutes les maladies, même toutes celles de sa propre branche.

Vanité des vanités, tout est vanité.

L'Ecclesiaste

Pour dissiper tout malentendu, j'appartiens au genre athée, même si j'ai reçu une éducation religieuse. La Bible n'est pour moi qu'un livre parmi d'autres, mais la partie nommée l'écclésiaste recèle de philosophie et de bon sens.

J'ai eu cette chance, en tant que patiente, de tomber sur des médecins capable de dire "je ne sais pas". Et heureusement...Après deux ponctions lombaires,sur une suspicion de méningite, j'ai eu LA complication: dès que je me levais, j'avais la sensation d'avoir le cerveau aspiré en arrière avec de grosses céphalées et je me courbais à 90 degrés de manière incoercible. Je me qualifiais de Quasimodo (même si celui-ci était beaucoup plus susceptible d'être atteint d'une scoliose sévère avec voussures importantes). J'étais hospitalisée mais les médecins m'ont renvoyée chez moi en me disant que c'était de la migraine, que je devais prendre de l'aspirine avec de la caféine...

Quatre jours se sont passés, je sentais la dégradation de mon corps. La rage et l'impuissance se mêlaient en moi. La certitude d'avoir été niée, d'avoir été rabaissée plus bas que terre. Je n'étais plus qu'un morceau de viande atteint d'un symptôme dénommé migraine. Finalement, je suis allé voir ailleurs, à l'hôpital2 et je suis tombé sur THE médecin, un interne sympa et surtout humain. Il m'a écouté, m'a examiné, n'a pas nié ma douleur, a mis toute son énergie, ses connaissances et son expérience pour établir un diagnostic. Et oui, je ne pouvais que lui dire ce que les médecins de l'hopital1 m'avaient dit à savoir "migraine".

A la fin de la journée, il est venu me voir:

-Je ne sais pas ce que vous avez mais je sais ce que vous n'avez pas. Votre pronostic vital ne semble pas engagé mais j'ai faxé votre dossier à mon professeur de neurologie à Hopital3. Lui, il saura et il trouvera. Nous sommes samedi soir, appelez lundi matin à la première heure.

Pour la fin de l'histoire, un ami de mon collègue (j'exerçais en libéral) était anesthésiste en clinique dotée d'une maternité. Il a établi le diagnostic de syndrome post ponction lombaire à la simple évocation des symptômes , m'a appelé chez moi et m'a fait un blood patch en urgence. Passé mon malaise vagal, il m'a expliqué que la brèche durale était importante, que j'aurais mal au niveau de sa ponction...mais pour la première fois, j'étais debout, je n'avais plus de douleurs dans la tête; mon cerveau restait à sa place. J'étais un peu raide mais j'ai eu le sourire jusqu'aux oreilles. Quelqu'un m'avait cru, savait et m'avait soigné.

J'ai remercié cet anesthésiste qui est devenu professionnellement un interlocuteur privilégié .

Le lundi, j'ai appelé l'hopital3 pour expliquer l'évolution de la situation. Tout était bien, pas besoin de consultation. Le lundi, j'ai repris mes consultations et mes visites.

J'ai surtout appelé cet interne. Il n'était pas de garde avant quelques jours alors je l'ai rappelé ce jour où il était de garde. Pour lui dire ce qui s'était passé, ce qu'était mon diagnostic et quel traitement j'avais reçu. Il était étonné, il ne connaissait pas. Mais à ce moment là, il a appris. Et moi je l'ai remercié encore et encore. Parce que ce toubib avait eu le cran de dire "je ne sais pas mais je vous adresse à un confrère qui lui saura". Et je l'ai aussi remercié d'être resté humble et d'avoir assumé de ne pas savoir.

A mes yeux, ce qui différencie un médecin d'un bon médecin, c'est son humanité, son humilité et son aptitude à reconnaître honnêtement ses limites.

Pour mériter de s'appeler docteur, il faut 10 ans d'études.

Pour mériter d'être appelé monsieur, certains y passent leur vie, sans y parvenir.

Merci encore à toi, Monsieur le Docteur. Puisse-tu continuer à exercer ton Art de cette manière tout au long de ta carrière.

* Ependymome: Tumeur développée à partir des cellules épendymaires situées en n'importe quel point du système ventriculaire et de la moelle, et de nature habituellement bénigne.

Je ne sais pas...

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